Après l'océan, par Laurence Peyrin by Laurence Peyrin

Auteur:Laurence Peyrin [Laurence Peyrin]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions de l'Épée
Publié: 2022-04-05T22:00:00+00:00

25

« As-tu entendu parler de Nellie Bly ?

– Nellie Bly ? Non.

– Alors il faut que tu lises cela. »

Letta et Natalie s’étaient retranchées dans l’arrière-cour de C. O. Bigelow pour la pause déjeuner. Mais Letta n’avait pas dormi de la nuit, ne pensant à rien d’autre qu’à Molly, là-bas, dans sa cellule d’hôpital, à ce qu’il fallait faire pour la sortir de là, et, mon Dieu, elle ne le savait pas.

Tout ici était trop grand, trop fort pour elle. Tout avait été trop grand depuis les deux cent soixante-neuf mètres du Titanic qui étaient étirés le long du quai de Southampton.

Quelle idée, Pap, franchement !

Elle n’était qu’une fille de boulangers, une femme de petit architecte naval, pour l’amour du ciel, et même si ses quelques haut-le-cœur sociaux avaient eu leur petit effet au-dessus du dessert la veille, un inflexible destin lui demandait de s’ériger en combattante, et cela, elle n’en serait pas capable.

L’idée de manger lui était devenue étrangère après le cortège d’assiettes dorées à la résidence Newton. Sur le coup des 3 heures du matin, elle avait vomi consciencieusement le fondant au chocolat qui lui restait sur l’estomac, dans un flot marron qui disait tout de la révolte intestine qui l’agitait.

Elle avait travaillé, ce matin, de la bile plein l’estomac, les mains tremblantes et l’esprit ailleurs, appelant Natalie du regard, manquant par deux fois de faire tomber des flacons d’eau de fleur d’oranger ou d’après-rasage à la lavande, que sais-je, attendant au milieu de la boutique grouillante de jolies femmes en désir de printemps cette pause déjeuner où elle ne mangerait pas. Elle ne mangerait plus.

Et voilà qu’assise sur une vieille chaise à côté d’elle, Natalie lui tendait la moitié d’un sandwich au pastrami et un journal jaune au papier encore plus jaune tant il semblait vieux.

Le New York World, l’un des vénérables torchons de la presse à scandale qui avait révélé toutes ses outrances lors de la chasse aux survivants du Titanic. Natalie lisait donc ce genre de choses ? Cela lui ressemblait si peu.

« Celui-ci date de 1887, expliqua Natalie. Il a été très difficile à trouver, mais mon ex-mari avait réussi à l’obtenir pendant l’hospitalisation de mon frère, et c’est en partie grâce à ce journal que Jacob a pu sortir de l’hôpital. Mange un peu, je t’expliquerai après.

– Je n’ai pas faim.

– Il faut manger si tu veux te battre, Letta. »

Alors Letta picora son pastrami, si c’était là le prix à payer pour que la pharmacienne consente à lui raconter ce qu’elle devait raconter sur cette Nellie Bly inconnue afin de terminer l’histoire de Jacob entamée quelques jours auparavant à Central Park.

Parce que cela aiderait Molly, c’était sûr, n’est-ce pas ?

Elle avala le restant de son pain comme une boule de fiel.

« Dis-moi tout, Natalie, s’irrita-t-elle. On m’a considérée comme un animal de foire au dîner d’hier chez les Newton. Une femme de deuxième classe qui a perdu la moitié de sa famille, dans sa robe de veuve trop large, quel spectacle de

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